Décadrages 2000-2005
Dans ces lieux périurbains anarchiques, toutes les rencontres improbables sont possibles entre matière couleurs et forme. En mixant les prises de vues sur une même image ,en confrontant les échelles, en surimpressionnant des matières contraires, je tente une évocation de l’image mentale d’un lieu.
On se trouve peut-être en présence de la représentation du rêve d’un espace traversé, de son émotion intrinsèque...
Regard critique
Texte d’Eric DEGOUTTE - janvier 2003 - Directeur du centre d’Art Plastique de CHELLES (77) - Sur la série « décadrages »
Etienne BEGOUEN est un arpenteur des lisières urbaines. Ses tirages photographiques nous dévoilent le résultat de ses périples et nous plongent en situation de découvreur.
Ces lieux nous sont probablement inconnus et pourtant ils renvoient chacun de nous à des « lieux communs » car immanquablement partagés. Epreuves (photographiques) des limites, ses images donnent à voir des espaces composites et étranges. La lisière urbaine est un espace en devenir, se transformant peu à peu. Ce peut être une frange paysagère en voie d’urbanisation, de domestication liée au développement économique, aux zones de transport et d’affrètement.
Les zones portuaires sont souvent impliquées dans le jeu de regard d’Etienne BEGOUEN. Mais ce peut être aussi et au contraire, des lieux laissés en jachère, à l’abandon. Des espaces où la « nature » reprend petit à petit ses droits. Enfin des lieux oubliés, négligés, des lieux secondaires ( de passage, de transit) qui sont eux aussi à la frontière du « non-lieu ». Des espaces où rien ne semble digne d’intérêt, où aucun poids existentiel n’apporte le crédit suffisant au regard. Et pourtant…
Ces lisières sont les lieux naturels de « montage » au sens photographique du terme. C’est la constatation d’Etienne BEGOUEN qui nous prouve que ce sont aussi des espaces de collusion de registres différents (le minéral et la botanique, le fabriqué et le brut, l’ombre et la lumière, le monumental et le fragmentaire).
Cette collusion des registres, Etienne BEGOUEN l’exprime par la variation des profondeurs de champs dans une même vue. Il multiplie les strates de visibilité, les plans possibles, les seuils d’accrochage de l’œil à partir desquels une reconstitution plus ou moins totalisante est possible. Il convient à chacun de nous d’investir ces archives visuelles, cette pseudo- cartographie pour imaginer, ressentir, déduire l’existence potentielle du paysage dans l’informe.
S’inscrivant peut-être dans le pas des artistes de la pensée romantique, Etienne BEGOUEN fait le pari que dés que l’homme est capable de situer, face à lui, le paysage, il détermine sa situation de spectateur et se construit au moins un possible point de départ pour d’autres voyages. Il bâtit intellectuellement son quai d’embarquement : c’est une de nos responsabilités nées de notre capacité à regarder le monde. Sa démarche artistique est d’exacerber les lieux qu’il arpente, car il s’agit bien alors de tenter d’en prendre la mesure. La construction photographique s’appuie sur les éléments formels, les textures, les couleurs des espaces investis. De là naît l’image, l’image comme « causa mentale ». Il existe évidemment plus d’une analogie entre cette « lisière urbaine » et l’œuvre contemporaine. Etienne BEGOUEN nous montre une posture possible face à l’innommable, à l’incommensurable. Une méthode, un engagement, le pari possible d’une orientation.